Les erreurs médicamenteuses en anesthésie concernent, pour plus de la moitié d'entre elles, la confusion entre deux produits. Au bloc opératoire ou obstétrical, les médicaments injectables préparés à chaque prise de garde sont habituellement étiquetés selon un code couleur répondant à des normes internationales (correspondant aux différentes classes pharmacologiques), avec le nom de la spécialité, sa dose... Dans le contexte de l'urgence, le non-respect de ces conventions est d'autant plus pourvoyeur d’événements indésirables graves.
Mme L. se présente aux urgences de la maternité à 40 SA pour des contractions douloureuses depuis 3 heures : il s'agit d'une primigeste de 26 ans, sans antécédent médical notable.
L'examen d'entrée montre un col dilaté à 3 cm, la poche des eaux est intacte. Le rythme cardiaque fœtal (RCF) est normal.
Deux heures plus tard, le col est dilaté à 4 cm, la patiente est algique (EVA 8) et demande à bénéficier d'une analgésie péridurale : la sage-femme (SF) appelle alors l'anesthésiste (ARE) de garde pour la pose, qui se déroule facilement. Trente minutes plus tard, la patiente est soulagée (EVA 0).
Le travail se déroule harmonieusement, le tracé du RCF reste normal, la dilatation du col est complète à 5 heures. La présentation est céphalique en OIGP (occipito iliaque gauche postérieure), non engagée.
Une heure après, l'examen est identique : la SF décide donc de procéder à une rotation manuelle de la tête fœtale afin d'aider à l'engagement mais n'y parvient pas par deux fois. Le RCF est toujours normal. La SF décide donc de posturer la patiente et d'introduire une perfusion d'oxytocine.
À 7 heures, le changement d'équipe intervient : la SF prenant le relais constate que la présentation n'est toujours pas engagée et toujours en variété postérieure, elle continue d'augmenter l'oxytocine.
Trente minutes plus tard, la patiente présente brutalement de vives douleurs au bas-ventre, la SF appelle l'obstétricien. Il prend la décision de césarienne code rouge à 7h35 pour probable pré-rupture utérine (douleurs allant en s'accroissant malgré une péridurale efficace et utérus hypertonique en sablier) : l'équipe complète du bloc opératoire est rapidement prévenue (anesthésiste-réanimateur (AR), infirmier anesthésiste diplômé d’état (IADE), infirmier de bloc opératoire diplômé d’état (IBODE), brancardier).
L'IADE prépare son plateau au bloc opératoire : il récupère celui pour induire en séquence rapide, préparé par sa collègue de garde la veille et rangé au réfrigérateur, qui comporte une seringue de thiopental et une de chlorure de suxaméthonium. Les seringues sont identifiées : cependant, celle de thiopental comporte une étiquette blanche, et non jaune comme habituellement car il n'y en a plus de disponibles. L'IADE prépare aussi une seringue de lidocaïne 1% pour l'analgésie par voie péridurale, qu'il dispose dans le plateau perpendiculairement aux autres seringues : elle est aussi identifiée avec une étiquette blanche, et non une grise comme habituellement, pour les mêmes raisons que précédemment.
À 7h45, la patiente est accueillie au bloc opératoire, la péridurale étant efficace, l'ARE décide en concertation avec l'obstétricien de réaliser l'intervention sous anesthésie péridurale : il se saisit alors de la seringue qu'il croit être celle de lidocaïne sur le plateau et injecte le contenu dans le cathéter de péridurale.
À ce moment, l'IADE aperçoit la seringue encore remplie de lidocaïne sur la table et signale immédiatement à l'ARE l'erreur : devant l'urgence de réaliser la césarienne, une anesthésie générale est décidée.
L'enfant naît à 8h05 avec un Apgar 10/10/10 et des pH/lactates normaux : l'ARE appelle en parallèle le numéro "SOS ALR" pour expliquer la situation et connaître la procédure. Un rinçage par 30 ml de sérum physiologique est préconisé.
À la fin de l'opération, Mme L. est transférée en SSPI pour extubation et surveillance : il n'y a rien de particulier à signaler.
Quelques heures plus tard, dans la chambre de maternité, l'équipe anesthésique vient expliquer à la patiente et son conjoint l'erreur médicamenteuse survenue au bloc opératoire ainsi que les signes devant l'alerter.
Le séjour de Mme L. se déroulera sans encombre et elle pourra regagner son domicile 4 jours plus tard.
Une analyse de cet événement indésirable est réalisée à posteriori à partir du dossier patient et d’entretiens avec les professionnels impliqués.
La méthode ALARM est retenue.
Erreur d'administration d'un médicament par voie péridurale.
Le code couleur recommandé pour l'étiquetage des seringues en anesthésie fait suite aux recommandations de la SFAR de 2006 pour la prévention des erreurs médicamenteuses : en uniformisant les pratiques, les erreurs sont réduites. Cependant, le biais cognitif créé peut être lui-même à l'origine de l'erreur : en ayant l'habitude d'identifier un médicament par une couleur, il est facile d'imaginer qu'on ne lise plus ce qui est écrit sur l'étiquette.
De même, les seringues pré-remplies doivent prioritairement être utilisées pour les médicaments d’urgence (atropine, éphédrine, phényléphrine), ce qui permet d’éviter de préparer systématiquement à l’avance des médicaments qui ne seront pas utilisés et qui, en multipliant le nombre de seringues sur le plateau, favorise le risque d’erreur médicamenteuse (SFAR 2016).